Séminaire Les mondes de l’océan Indien. Résumé de la séance du 3 mars 2011. C. Gadrat est archiviste-paléographe (diplômée de l’Ecole des Chartes), ingénieur de recherche au CNRS (LAMM à Aix-en-Provence). Contact : gadrat@mmsh.univ-aix.fr. Elle vient de soutenir une thèse sur la diffusion et la réception de Marco Polo. Elle a publié notamment les œuvres du dominicain Jordan Catala et du franciscain Giovanni de’ Marignolli, dont elle nous présente les parcours et les témoignages.
Jordan Catala, originaire de Sévérac-le-Château dans l’Aveyron, se trouve à Tabriz en 1320 après avoir parcouru l’Arménie et la Perse. Il prend part à une mission vers l’Orient avec plusieurs frères franciscains. Alors que ses compagnons subissent le martyre à Thana, près de Bombay en 1321, Jordan Catala parvient à poursuivre sa mission. Il se fixe au sud de l’Inde et fait construire une église à Quilon. De retour en 1329-1330 à Avignon, il y rédige les Mirabilia descripta, une description ordonnée de l’Orient plus qu’un récit de son voyage. Le pape le nomme alors évêque de Quilon et lui fournit des lettres de recommandation pour repartir en Orient, où l’on perd sa trace.
Giovanni de’ Margnolli, franciscain entré au couvent de Santa-Croce de Florence, part pour l’Orient en 1338. Il participe en effet à une mission, demandée par le pape Benoît XII, en réponse à une délégation émanant du Grand Khan et du peuple des Alains, venue annoncer la mort de Jean de Montecorvino, archevêque de Khanbaliq (Pékin). Au cours de son voyage, Giovanni de’ Margnolli passe quatorze mois à Quilon et séjourne à Ceylan. Certains éléments de cette expérience indienne sont insérés dans une vaste chronique universelle (la Chronique de Bohême), écrite dans les années 1350 pour le roi Charles IV de Bohême, dont il est devenu le chapelain. La structure de son témoignage est donc particulièrement originale, puisque ses souvenirs sont présentés comme des commentaires de la Bible, et en particulier de la Genèse.
La comparaison des œuvres permet de dégager les conceptions géographiques des deux auteurs. L’Orient est divisé en « trois Indes », dont les limites varient d’un texte à l’autre. La « troisième Inde » correspond pour la première fois chez Jordan Catala à la côte orientale de l’Afrique, qu’il semble concevoir comme une terre se prolongeant vers l’Orient au sud de l’océan Indien. Son image mentale de l’Asie est conforme à la mappemonde de Pietro Vesconte, visible lors de son séjour à Avignon en 1329. La description du paradis terrestre (considéré comme un endroit réel) par les deux voyageurs, reflète les discussions universitaires de l’époque sur le climat tempéré des régions équatoriales. Enfin, Jordan Catala s’intéresse tout particulièrement à la faune et à la flore, et insiste beaucoup sur les couleurs. Il diffère en cela de Marco Polo, qui décrit une géographie essentiellement urbaine. Giovanni de’ Marignolli évoque davantage les villes et l’artisanat, et prête une grande attention aux coutumes religieuses des peuples de l’Inde. A Ceylan, il admire la pureté des moines, et décrit même une statue de Bouddha.
Il ressort de ces deux témoignages (contrairement à celui d’Odoric de Pordenone, par exemple), une image très positive, admirative, de l’Inde et de ses merveilles.
Bibliographie :
Thèse : « Traduction, diffusion et réception du livre de Marco Polo », sous la direction de Patrick Gautier Dalché, EPHE, IVe section, 2010.
Jordan Catala : Une image de l’Orient au XIVe siècle : les Mirabilia descripta de Jordan Catala de Sévérac, Paris, Coll. « Mémoires et documents de l’École des Chartes », 2005.
Giovanni de’ Marignolli : Jean de Marignolli, Au jardin d’Eden, traduit du latin, présenté et annoté par Christine Gadrat, Toulouse, Anacharsis, 2009.